Un article du Monde du 16 juin, s’appuyant sur le propos de personnes anonymes qualifiées de « lanceurs d’alerte » et d’une question au gouvernement de madame la députée Delphine Batho, critique le fait que des scientifiques sollicités par l’Anses pour réfléchir à des études de toxicologie aient ensuite été retenus par l’Agence comme lauréats de l’appel à candidatures lancé pour réaliser ces études. Ce dispositif d’études scientifiques vise à apporter des données complémentaires pour répondre à la question de la toxicité du glyphosate et en particulier de son potentiel caractère cancérogène pour l’Homme. Il fait suite à une saisine de l’Anses par les ministères en charge de la santé, de l’agriculture et de l’environnement de mars 2018. Pour mémoire, le glyphosate, substance active herbicide, sera réévalué en 2022 conformément à la réglementation européenne encadrant l’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Suite aux controverses, largement alimentées par le manque de publications scientifiques indépendantes et robustes sur le sujet, qui ont marqué la précédente réévaluation du glyphosate en 2017, les attentes de données complémentaires sur sa toxicité sont particulièrement fortes. Réaliser des études pour répondre à cet enjeu implique trois impératifs : la rapidité (les données nouvelles devront impérativement être versées au dossier de réexamen avant fin 2021), la capacité à produire des résultats pouvant être confrontés aux données produites par les industriels selon un cahier des charges réglementaire précis, et la mobilisation des laboratoires publics académiques. Pour répondre au premier impératif, l’Anses a lancé dès la saisine ministérielle la constitution d’un groupe d’expertise collective en urgence (GECU). Cette forme de groupe de travail, constitué sans appel à candidatures, était la seule qui permette de réunir un collectif de scientifiques dans un délai inférieur à 6 mois et de lancer rapidement la rédaction du cahier des charges. Le GECU, comprenant 3 scientifiques français et 2 experts étrangers, a terminé ses travaux en décembre 2018. Pour répondre au deuxième impératif, les experts du GECU ont recommandé que les études de génotoxicité à mener se conforment aux Bonnes Pratiques de Laboratoire (BPL) car, dans le référentiel réglementaire, cette norme exigeante s’applique aux tests de génotoxicité demandés aux industriels pour le dossier d’évaluation des substances actives. Pour les autres études à mener, un niveau équivalent aux BPL était aussi recommandé pour garantir la prise en compte des résultats lors du processus de réévaluation. Ces exigences, ainsi que la nature précise des différents tests à réaliser, ont été validées par le Comité d’experts scientifiques de l’Anses en charge de l’examen du rapport du GECU, puis enfin par l’Anses conformément à la procédure d’expertise collective pratiquée par l’Agence. A chaque étape, le code de déontologie de l’Agence a été appliqué. L’ avis de l’Anses (PDF) a été finalisé en mars 2019 et publié le 22 juillet 2019. Le dispositif d’études étant dessiné, étant donné ses spécificités méthodologiques et un contexte de polémique sur le glyphosate pouvant décourager des scientifiques, l’Anses a fait le choix de procéder à un appel à candidatures international pour maximiser le nombre potentiel de réponses. L’appel à candidatures, réservé à des laboratoires publics académiques, s’adressait prioritairement à des consortiums de laboratoires et imposait une déclaration des liens d’intérêt pour garantir l’indépendance des travaux à mener. Si les termes d’appel d’offre et de cahier des charges ont été utilisés par commodité, l’Agence précise que ce processus de consultation original ne relève pas du cadre des marchés publics. Malgré ses efforts pour promouvoir largement cet appel à candidatures, l’Anses a reçu peu de réponses : seuls 2 consortiums - de respectivement 7 et 4 laboratoires - et 2 laboratoires isolés ne répondant qu’à certains points du cahier des charges ont candidaté. Un seul consortium a répondu à l’ensemble des spécifications. Dans chacun des deux consortiums figuraient des équipes liées à des scientifiques ayant participé aux groupes d’expertise collective impliqués dans la construction de l’avis de l’Anses sur les études à mener. L’objectif même d’ouvrir l’appel à candidatures largement aux plans national et international visait à prévenir, autant que possible, ce type de situation. Étant donné le faible nombre de réponses reçues, le nombre encore plus faible de réponses correspondant aux attentes de compétences BPL, et l’intérêt de ces réponses au regard de l’enjeu scientifique mondial, l’Anses a opté fin avril 2020 pour un choix (PDF) par défaut bien que scientifiquement pertinent : retenir le consortium piloté par l’Institut Pasteur de Lille, le seul à répondre intégralement au cadre d’expertise requis mais dont l’un des coordinateurs avait participé au collectif d’experts du GECU, ainsi qu’une proposition d’étude originale émanant de l’un des partenaires de l’autre consortium, le CIRC. Au regard des questions soulevées, l’Anses réexamine les possibilités d’apporter une réponse scientifique satisfaisante malgré les fortes contraintes constatées, tout en préservant la possibilité de produire des données conformes au format spécifiquement demandé, et ce dans les délais impartis.