
Analyse des résultats de l’expertise collective de l’Inserm sur les effets des pesticides sur la santé
Surveiller et prendre en compte les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques est primordial pour ajuster leurs emplois et leurs autorisations de mise sur le marché si nécessaire. Au travers de son dispositif de phytopharmacovigilance, l’Anses a analysé les résultats d’un travail scientifique d’envergure : l’expertise collective de l’Inserm sur les liens entre l’exposition aux pesticides et la santé humaine mise à jour en 2021. A l’issue de cette analyse, l’Agence identifie plusieurs signaux sanitaires dont un signal fort concernant la famille des pyréthrinoïdes, utilisée dans des produits phytopharmaceutiques mais également dans des biocides et des médicaments vétérinaires. L’Anses rappelle l’importance de revoir régulièrement les évaluations des substances et produits au vu de nouvelles données.
Surveiller les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques
Même si leur sécurité est évaluée avant toute mise sur le marché, les produits phytopharmaceutiques peuvent avoir des effets non intentionnels sur la santé et l’environnement. Unique dans l’Union européenne, le dispositif de phytopharmacovigilance de l’Anses permet de surveiller ces effets dans les conditions réelles d’utilisation et d’agir en conséquence.
Pour repérer d’éventuels signaux sanitaires, ce dispositif de vigilance collecte de nombreuses données sur la présence de résidus de pesticides dans les milieux, sur les expositions observées et sur les impacts sur la santé des êtres vivants et des écosystèmes. Outre les données issues de mesures effectuées dans les milieux, d’études et d’enquêtes, les publications scientifiques sont également prises en compte, avec une attention particulière pour les études épidémiologiques en santé humaine. Dans cette optique, l’Anses a analysé les conclusions de l’expertise collective de l’Inserm de 2013 mise à jour en 2021, qui dresse un état des lieux des connaissances sur les liens entre l’exposition aux pesticides et la survenue de pathologies.
Les familles de produits et substances « pesticides » examinées par l’Inserm comprennent des produits phytopharmaceutiques à usage agricole, mais aussi des produits biocides et vétérinaires. Au titre de la phytopharmacovigilance, l’Anses a centré son analyse sur les substances toujours approuvées dans l’Union européenne pour des usages phytopharmaceutiques. Les nombreuses substances pointées dans l’expertise collective de l’Inserm mais qui ne doivent plus être utilisées en agriculture, comme par exemple les organochlorés, n’ont donc pas été prises en compte dans cette analyse.
Par ailleurs, l’Anses a déjà exploité à plusieurs reprises des résultats de l’expertise collective de l’Inserm : pour son expertise sur le cancer de la prostate associé aux expositions professionnelles aux pesticides, dont le chlordécone, qui a conduit à la création d’un tableau de maladie professionnelle au régime agricole et pour actualiser les valeurs toxicologiques de référence de fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHi). Par ailleurs, durant le réexamen réglementaire au niveau européen du glyphosate, l’Inserm avait formulé, lors de la phase de consultation organisée en amont de la conclusion de l’évaluation, des commentaires issus de son travail d’expertise.
Des signaux importants à prendre en compte pour les pyréthrinoïdes
Un collectif d’experts indépendants a été mandaté par l’Anses pour dégager des signaux de vigilance dans l’ensemble des résultats de l’expertise collective de l’Inserm. Pour ce faire, les experts ont croisé plusieurs types de données : celles sur les présomptions de liens entre expositions aux pesticides et pathologies humaines établies par l’Inserm, celles sur les usages autorisés et sur les toxicités des différents pesticides, notamment.
A l’issue de cette analyse, plusieurs signaux ont été identifiés. Les plus importants concernent les organophosphorés et surtout les pyréthrinoïdes. L’utilisation de ces substances insecticides est en effet encore très importante, aussi bien pour des usages professionnels agricoles que pour des usages biocides professionnels et amateurs. Le volet de l’étude Esteban sur l’imprégnation de la population française par les pesticides (Santé publique France, 2021) montre par ailleurs des fréquences de quantification importantes pour les pyréthrinoïdes, plus élevées chez les enfants que les adultes.
Le principal signal pour la famille des pyréthrinoïdes se rapporte aux troubles du comportement de type internalisé chez les enfants de mères exposées pendant la grossesse. Des atteintes spermatiques ont également été identifiées dans la population générale (toutes sources d’exposition confondues), néanmoins avec un niveau de présomption plus faible. Une substance de la famille des pyréthrinoïdes, la deltaméthrine, est également associée à un risque accru de leucémie lymphoïde chronique/lymphome lymphocytaire en lien avec une exposition professionnelle, avec un niveau de présomption moyen.
Pour approfondir les conclusions du rapport de l’Inserm, le groupe d’experts en phytopharmacovigilance a également analysé les résultats d’une étude épidémiologique récente (Qi et al., 2022) sur les pyréthrinoïdes. Cette analyse confirme qu’une exposition aux pyréthrinoïdes pendant la grossesse peut produire des effets néfastes sur le neurodéveloppement des très jeunes enfants.
Afin de mettre en place des mesures de prévention en santé publique, l’Anses recommande d’identifier les sources d’expositions les plus importantes aux pyréthrinoïdes parmi tous les usages insecticides possibles : médicaments, produits phytopharmaceutiques et biocides, y compris pour traiter les matériaux de construction et d’ameublement, et les textiles.
S’agissant des organophosphorés, leur usage est très limité aujourd’hui en France et les produits à base de malathion ne sont plus autorisés sur le territoire. L’Efsa a été informée des signaux sanitaires identifiés par la phytopharmacovigilance sur cette substance alors que son approbation européenne est en cours de ré-examen.
Intégrer toutes les données scientifiques disponibles pour l’évaluation des produits phytopharmaceutiques
Les signaux soulignent l’importance d’une mise à jour régulière de l’évaluation des risques pour chaque substance et produit phytopharmaceutique. Cette vigilance est d’autant plus cruciale pour les substances phytopharmaceutiques approuvées pour de longues durées. L’Anses rappelle que la réglementation européenne permet de demander la révision de l’approbation d’une substance active lorsque de nouvelles connaissances scientifiques et techniques la remettent en question.
De plus, lors des réexamens des produits et substances et du renouvellement des décisions, l’Agence insiste sur la nécessité d’exploiter toute la littérature scientifique disponible et pertinente, y compris les études épidémiologiques et les signaux et alertes issus des systèmes de vigilance. L’évolution constante des méthodologies d’évaluation est également fondamentale et l’Anses réaffirme son engagement à y contribuer, dans le cadre des travaux harmonisés par l’Efsa.
Cependant, l’interprétation des données épidémiologiques, et plus généralement des données de vigilance, reste fortement limitée par les difficultés à accéder aux données précises sur les applications réelles, actuelles et passées des produits. C’est pourquoi l’Anses réitère sa recommandation de rendre accessibles les données d’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de les conserver sur le long terme.
Enfin, l’Agence rappelle que la réduction des utilisations au strict nécessaire est un élément de maîtrise essentiel des risques pour les produits biocides, vétérinaires ou phytopharmaceutique, que ce soit dans les cadres professionnel ou domestique, du fait de leur effets pharmacologiques et/ou toxicologiques avérés.