Pesticides et eau du robinet : les variations régionales ne modifient pas les résultats des évaluations de risque nationales
Comme les autres aliments, l’eau du robinet est susceptible d’être contaminée par des pesticides. L’Anses a réalisé un travail dédié afin d’évaluer la part que représente l’eau dans l’exposition alimentaire globale aux pesticides et les conséquences de la variabilité géographique de sa contamination en termes de risques. Cette étude, conduite dans le cadre de l’Observatoire des résidus de pesticides (ORP) a été financée par l’Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) au titre du plan Ecophyto.
De façon générale, pour les 106 substances étudiées, cette étude montre que les variations régionales des concentrations de pesticides dans l’eau ne modifient pas les conclusions des évaluations de risque conduites à l’échelle nationale connues à ce jour, la contribution de l’eau à l’exposition alimentaire globale aux pesticides étant généralement faible.
Le terme « pesticides » désigne des substances ou des préparations permettant la prévention, le contrôle ou l'élimination d'organismes jugés indésirables (plantes, insectes, champignons, rongeurs, bactéries…). Ce terme recouvre donc à la fois les produits phytopharmaceutiques, utilisés en agriculture, mais également les biocides et certains médicaments antiparasitaires humains ou vétérinaires. En fonction des conditions d’utilisation et selon les caractéristiques du milieu, ces pesticides sont susceptibles de se retrouver dans l’environnement (air, eau, sol), ainsi que dans les denrées alimentaires, dont l’eau. Toutefois l’eau du robinet se distingue des autres denrées, du fait de la dépendance des individus à une même source d’approvisionnement et de la variabilité géographique et temporelle de la contamination de cette source.
Quelle est la contribution de l’eau du robinet à l’exposition alimentaire totale aux résidus de pesticides ? Observe-t-on une variabilité régionale ? Quels sont les risques liés à la consommation d’eau du robinet ?
Telles sont les questions auxquelles l’Anses souhaitait répondre. Dans ce but une étude a été réalisée par l’Agence, dans le cadre de l’Observatoire des résidus de pesticides (ORP), grâce à des fonds de l’Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), au titre du plan Ecophyto, piloté par le Ministère en charge de l’Agriculture.
Une étude basée sur un très grand nombre d’analyses
L’objectif de ce travail était notamment d’évaluer l’exposition alimentaire de la population aux pesticides provenant de l’eau du robinet et sur cette base de caractériser le risque lié à l’exposition hydrique par ingestion.
Ce travail s’appuie sur l’ensemble des données du contrôle sanitaire du Ministère en charge de la Santé pour la période 2007-2009, c'est-à-dire plus de 5,7 millions d’analyses extraites du Système d’information en santé environnement sur l’eau (Sise-eaux). Ces analyses portent sur environ 80 000 prélèvements et concernent 501 résidus de pesticides[1].
Cette étude vient ainsi compléter les résultats de l’Etude de l’alimentation totale 2 (EAT2) et des avis annuels Anses/ORP relatifs à la surveillance des expositions alimentaires et à l’orientation des programmes nationaux de surveillance des aliments. Sa complémentarité tient à l’intégration de la variabilité géographique de la contamination de l’eau distribuée. Ainsi, la contamination est considérée au niveau de chaque station de prélèvement et pour chacun des échantillons prélevés.
Parmi les 501 résidus recherchés dans le cadre du contrôle sanitaire :
- 210 n’ont pas été quantifiés dans l’eau de distribution (absents ou présents à des niveaux trop faibles pour être quantifiés) ;
- Pour 33 substances : il n’a pas été possible de conclure en raison de données jugées insuffisantes ou manquantes.
Les 258 résidus restants représentent 224 substances ou groupes de substances.
Pour ces 224 pesticides :
- l’analyse a porté en priorité sur 106 pesticides pour lesquels des données de contamination dans l’eau et dans les denrées alimentaires solides sont disponibles ;
- Pour les 118 substances restantes, compte tenu de leur usage, des évaluations de risque précédentes et de leurs caractéristiques physico-chimiques, elles sont peu ou pas recherchées dans les denrées alimentaires solides, ce qui n’a pas permis leur prise en compte dans l’estimation de la contribution de l’eau à l’exposition alimentaire totale. Par exemple, c’est le cas du chlortoluron, de la bentazone et du glyphosate.
Sur la base de ces données, la part de l’exposition liée à l’eau a été calculée et rapprochée de l’exposition provenant des aliments solides pour calculer l’exposition alimentaire totale. Pour chaque substance, cette valeur a ensuite été comparée aux valeurs toxicologiques de référence (DJA[2] pour le risque à long terme, ARfD[3] pour le risque court terme) afin de caractériser le risque.
Conclusions et perspectives de l'étude
Pour les 106 substances pour lesquelles une évaluation globale a pu être menée au niveau national (dans l’eau et les denrées alimentaires solides), la contribution moyenne de l’eau à l’exposition alimentaire totale est inférieure à 5% sauf pour 8 pesticides et leurs métabolites : atrazine, simazine, oxadixyl, propoxur, benalaxyl, métolachlore, diuron, hexaflumuron.
La contribution de l’eau est étroitement liée aux usages des pesticides. Dans certains cas, elle est importante, voire totale, pour certains herbicides que l’on retrouve essentiellement dans l’eau.
Pour certaines substances, on observe une variabilité des expositions hydriques, à l’intérieur d’une même région, qui pourrait s’expliquer par la diversité des pratiques culturales.
Concernant le risque à long terme (chronique), l’étude montre quela contribution de l’eau à la dose journalière admissible (DJA) est faible : elle est inférieure à 1%, sauf pour 2 substances et leurs métabolites : l’atrazine et le carbofuran aujourd’hui interdites. Pour ces substances, la contribution à la DJA est inférieure à 5%.
Ainsi, les résultats de cette étude, prenant en compte la variabilité géographique de la contamination de l’eau de distribution, ne modifient pas substantiellement les conclusions des évaluations de risque précédentes (EAT2). Des dépassements des DJA sont observés pour seulement 2 substances : le diméthoate, déjà identifié dans l’étude EAT2, et la propargite, actuellement interdite.
Concernant le risque à court terme (aigu), il n’est observé aucun dépassement des valeurs toxicologiques de référence (ARfD).
Les résultats de l'étude
- les résultats de l'étude n’appellent pas de modifications des modalités de fixation des valeurs sanitaires maximales proposées par l’Anses à la demande du Ministère en charge de la Santé en cas de non-conformités de l’eau du robinet ;
- les résultats de l'étude viendront alimenter les travaux conduits annuellement par l’Anses/ORP pour la définition des programmes de surveillance des pesticides dans les denrées alimentaires, en particulier pour les substances qui sont actuellement peu ou non recherchées dans ces matrices.
D’ores et déjà, ce travail permet à l’Anses de formuler plusieurs recommandations :
- l’effort de surveillance de l’eau de distribution doit être maintenu, voire renforcé, dans les unités de distribution de petites tailles et pour les substances pour lesquelles il n’a pas été possible de conclure dans la présente étude ;
- par ailleurs, des travaux de recherche supplémentaires sont nécessaires. Ils permettraient de mieux connaître les effets sur la santé de certains pesticides ainsi que d’estimer les effets cumulés et les effets aux faibles doses pour les pesticides de type perturbateurs endocriniens.
[1]Le terme « résidu » recouvre à la fois les pesticides, les produits qui peuvent en être issus (produits de dégradation) ainsi que des molécules interdites, quelquefois depuis de nombreuses années, mais qui possèdent une forte rémanence dans l’ environnement.
[2] La DJA (dose journalière admissible) est définie par l’OMS comme la dose qui peut être ingérée tous les jours pendant toute la vie, sans risque appréciable pour la santé du consommateur.
[3] L’ARfD (acute reference dose) est définie par l’OMS comme la dose qui peut être ingérée pendant une période de 24h ou moins, sans risque appréciable pour la santé du consommateur.