Fragments de clivage de minéraux dans les matériaux de carrières : quels effets sur la santé des travailleurs ?
Les fragments de clivage sont des particules minérales présentes naturellement dans les roches utilisées, entre autres, dans les travaux publics (enrobés routiers). Certains peuvent, par leur composition chimique et leurs dimensions, être assimilés à des fibres d’amiante. Si les effets des fibres d’amiante sur la santé sont bien documentés, il existe des incertitudes sur la toxicité des fragments de clivage. De plus, les méthodes analytiques actuelles ne permettent pas de distinguer de façon simple les fragments de clivage des fibres d’amiante. L’Anses a été saisie par les ministères en charge de la santé, du travail et de l’environnement pour documenter les expositions des professionnels aux fragments de clivage, les effets sanitaires en résultant, et les méthodes ou critères permettant d’affiner les analyses de matériaux et d’air. Dans l’avis et le rapport publiés ce jour, elle conclut qu’en l’état actuel des connaissances, les fragments de clivage des minéraux homologues des amiantes réglementés ayant les dimensions d’une fibre ainsi que certaines espèces minérales actuellement non réglementées peuvent conduire à des effets sanitaires similaires à ceux de l’amiante. L’Agence recommande dans ce contexte la prise en compte de ces effets potentiels dans le cadre réglementaire en vigueur.
Dans la réglementation européenne, le terme amiante fait référence à 6 minéraux présents naturellement dans plusieurs types de roches : d’une part une serpentine, le chrysotile, et d’autre part, cinq amphiboles, l’actinolite-amiante, l’anthophyllite-amiante, la trémolite-amiante, l’amosite et le crocidolite.
Le point sur les fibres d’amiante et les fragments de clivage
Dans l’environnement naturel, l’actinolite, mais également les autres amphiboles, peuvent se présenter sous différentes morphologies, dites asbestiformes ou non asbestiformes. Les minéraux non asbestiformes et leurs homologues asbestiformes (i.e. actinolite et actinolite-amiante) ont la même composition chimique mais se différencient par leur mode de croissance dans les roches. Actuellement, seules les morphologies asbestiformes des 5 amphiboles précitées et le chrysotile font l’objet d’une réglementation.
Lorsqu’une contrainte mécanique est appliquée sur les minéraux non asbestiformes, comme lors du broyage des roches extraites des carrières pour la fabrication de granulats par exemple, ceux-ci peuvent se cliver et libérer des particules plus ou moins allongées appelées « fragments de clivage ». Ces particules peuvent parfois être comptabilisées comme des fibres d’amiante, du fait notamment de leurs caractéristiques dimensionnelles.
Le travail de l’Agence
Suite à l‘identification de fibres d’actinolite-amiante et de fragments de clivage d’actinolite dans les granulats (roches) d’enrobés routiers, l’Anses a été saisie par les ministères en charge de la santé, du travail et de l’environnement pour réaliser une expertise sur les expositions professionnelles aux fragments de clivage, leurs effets sanitaires potentiels et les méthodes d’analyse dans l’air et les matériaux. Les fragments de clivage d’intérêt sont ceux susceptibles d’être comptabilisés comme fibres d’amiante lors des analyses d’air, c'est-à-dire les fragments de clivage de minéraux homologues des amiantes réglementés, à savoir d’actinolite, d’anthophyllite, de trémolite, de grunérite et de riébeckite ayant les dimensions d’une fibre définies par l’Organisation Mondiale de la Santé (longueur supérieure à 5 µm, diamètre inférieur à 3 µm, rapport d’allongement supérieur à 3) et donc susceptibles d’être inhalés. Par ailleurs, les données relatives aux amphiboles pour lesquelles des données préoccupantes sur la santé existent et ayant une composition chimique très proche de celle de certaines des 5 amphiboles précitées ont également été étudiées.
D’une façon générale, l’Anses souligne la difficulté à identifier des données sanitaires spécifiques aux fragments de clivage, du fait de co-expositions à des fibres asbestiformes ou à d’autres facteurs de risques respiratoires, mais aussi de l’absence de données renseignant les dimensions ou la morphologie des particules minérales étudiées. De plus, les études disponibles ne discutent pas des paramètres autres que les critères dimensionnels et pouvant avoir une influence sur la toxicité de ces particules, comme la biopersistance, les contaminants, la réactivité de surface, etc.
Au vu des données analysées, l’Anses conclut qu’il n’est pas possible d’exclure un risque pour la santé lié à l’exposition aux fragments de clivage d’actinolite, d’anthophyllite, de trémolite, de grunérite et de riébeckite. Par ailleurs, certaines données indiquent des risques pour la santé similaires à ceux induits par l’amiante pour des espèces chimiques ne faisant actuellement pas l’objet de réglementation : la winchite, la richtérite, la fluoro-édénite et l’érionite.
Enfin, il n’a pas été possible d’identifier de données d’exposition spécifiques aux fragments de clivage, en raison notamment de co-expositions avec des fibres d’amiante, et des difficultés analytiques pour les distinguer formellement des fibres d’amiante.
Les recommandations de l’Agence
Au vu de ses conclusions, l’Anses recommande une évolution du cadre réglementaire en vigueur afin de prendre en compte les effets sanitaires associés aux fragments de clivage d’actinolite, d’anthophyllite, de trémolite, de grunérite et de riébeckite, dès lors qu’ils ont les dimensions d’une fibre telles que définies par l’OMS.
Par ailleurs, compte tenu des effets sanitaires similaires à ceux de l’amiante mis en évidence pour la winchite, la richtérite, la fluoro-édénite et l’érionite, l’Anses recommande également que la réglementation en vigueur soit étendue à ces quatre espèces minérales.
Au delà, l’Anses liste des recommandations quant à la conduite des travaux susceptibles d’engendrer une exposition à ces particules minérales dans le secteur des carrières et chantiers routiers. D’autres domaines, comme le secteur du bâtiment et des travaux publics en environnement naturel ou mettant en œuvre des matériaux manufacturés à partir de matériaux naturels, peuvent également être concernés par cette problématique. Avant de démarrer ce type de travaux, il apparaît nécessaire que soient réalisées des cartographies des sites pour repérer la présence de particules.
Enfin, en matière de métrologie, l’Anses propose des recommandations visant à améliorer le prélèvement et l’analyse des particules minérales dans les matériaux naturels, et à homogénéiser les résultats des laboratoires.